Avec les troubles de l’été au Cachemire, la tentation d’un conflit ouvert est palpable. Les deux puissances nucléaires feront-elles preuve de la retenue qu’elles ont déjà su exercer ?
Avant que l’Inde et le Pakistan ne se soient dotés de l’arme nucléaire, la question du Cachemire [divisé depuis 1947] se réglait à coups de guerre. Mais, une fois les deux pays entrés dans le club nucléaire [respectivement en 1974 et en 1998], les revendications territoriales ont pris une autre tournure. Les crises sont récurrentes parce que les doléances demeurent.
Les plus sérieuses ont été le conflit de Kargil, en 1999, et l’opération Parakram [mobilisation de part et d’autre de la ligne de contrôle à la suite d’une attaque du Parlement indien en décembre 2001]. Les deux pays se sont ainsi retrouvés au bord de l’affronte ment peu après avoir démontré leurs capacités nucléaires par des essais souterrains. En revanche, il n’y avait plus eu de crise sur le sous-continent depuis les attentats de Bombay en 2008 [menés par des islamistes pakistanais, et qui ont fait 188 morts].
Les conditions pour l’avènement d’une autre crise de grande ampleur – ressentiment au Cachemire, éléments instables au Pakistan, personnalité ayant le goût du risque, un accident, l’effondrement de la chaîne de commandement, ou toute autre forme de malchance sont toujours là. Comme l’a montré l’attentat d’Uri [17 soldats indiens tués dans l’attaque d’une base militaire le 18 septembre dernier], la prochaine alarme peut retentir à tout moment, parce que les dirigeants indiens n’ont rien fait pour améliorer durablement les liens avec le Pakistan et que leurs homologues pakistanais n’ont rien fait pour leur en donner envie.
Les dirigeants politiques à New Delhi et Islamabad voudraient bien nous faire croire que le pire est derrière eux, mais ils ne contrôlent pas tout. D’autres qu’eux détermineront le déclenchement de la prochaine crise et son intensité. L’avènement d’un chef de l’armée va-t-en-guerre ou des groupes rebelles basés au Pakistan pourraient s’en charger. Et si l’armée pakistanaise décidait de se retourner contre ces groupes, ils pourraient bien riposter par des attaques en Inde comme au Pakistan, dans le but de déclencher une guerre.
Des musulmans hostiles en Inde, mais aussi des manifestations de grande ampleur au Jammu-et-Cachemire, qui sus citeraient le soutien de l’autre côté [de la ligne de contrôle], font partie des scénarios d’escalade familiers. Un Premier ministre indien pourrait autoriser des initiatives militaires en réponse à une provocation. Mais les dirigeants indiens et pakistanais pourraient aussi décider de chercher la réconciliation, ce qui ferait sortir de leurs gonds les plus extrémistes.
Pour chaque raison d’espérer l’éloignement d’une crise avec le nucléaire en arrière-plan, il y a une raison de s’attendre au pire. Trois Premiers ministres indiens de différents bords politiques se sont succédé ; ils ont envisagé la possibilité d’une guerre nucléaire et s’en sont écartés, décidant que les avantages seraient éphémères et les souffrances durables. À la place, ils ont choisi le chemin de la retenue et l’acceptation d’une gêne temporaire.
Embarras. Les dirigeants pakistanais eux aussi se sont trouvés dans une position embarrassante, en continuant à héberger les auteurs des attentats. L’ancien président Pervez Musharraf avait promis que cela n’arriverait plus après l’attentat du Parlement indien en 2001, mais les services secrets pakistanais n’ont peut-être pas été mis au courant.
La stabilité relative du sous- continent doit beaucoup au désir de croissance économique de New Delhi et à sa volonté de ne pas aller trop loin dans l’escalade. Nous ne savons pas si Rawalpindi [siège du quartier général de l’armée pakistanaise] a contribué à cette décennie de calme en passant des accords secrets qui auraient persuadé les extrémistes de ne pas déchaîner la violence. De leur côté, les groupes extrémistes violents hébergés au Pakistan sont peut- être en train de tester le niveau de patience de l’Inde. Mais le Pakistan ne sera pas loué pour sa retenue tant que Rawalpindi ne réprimera pas publiquement les groupes rebelles anti-indiens. Si l’éventualité d’une nouvelle crise n’est pas écartée, c’est aussi que le potentiel de dissuasion des armes nucléaires n’a pas encore encouragé des efforts durables pour améliorer les liens entre les deux pays. Les efforts diplomatiques pour normaliser les relations s’enrayent facilement, même si désormais c’est à cause d’actes de violence mineurs qui ne dégénèrent pas en conflit.
Si l’attentat d’Uri n’est pas un élément déclencheur, la prochaine crise sur le sous-continent – s’il y en a une – sera sans doute provoquée par un autre attentat contre une structure emblématique dans une grande ville indienne ou à proximité. Les cibles ne manquent pas en Inde, ni les moyens d’infliger des dégâts, et encore moins les recrues pour perpétrer des attentats. Un autre attentat spectaculaire contre un symbole de la puissance indienne ou son équivalent peut-il engendrer une riposte militaire ? Je m’en tiens à la même conclusion qu’il y a cinq ans : “Les raisons qui expliquent la retenue de l’Inde malgré de très graves provocations demeurent, et, dans certains cas, sont encore plus prononcées.”
Se battre contre le Pakistan mettrait en péril le statut de grande puissance de l’Inde. Et pourtant la patience de New Delhi n’est pas indéfinie, elle est aujourd’hui mise à l’épreuve par le carnage d’Uri.
Michael Krepon, The Wire New Delhi, le 20 septembre), traduction Courrier International, le 29 septembre 2016.
“Il faut doubler le budget indien de la défense” ●●●
“L’Inde doit se préparer à la guerre avec le Pakistan, en envoyant d’urgence des moyens militaires à la frontière, et en menant conjointement une offensive diplomatique pour que le Pakistan soit désigné par le monde entier comme un Etat terroriste.” Tel est le point de vue d’Hiranmay Karlekar, conseiller à la rédaction de The Pioneer, quotidien proche du Parti du peuple indien de Narendra Modi. Selon lui, il ne fait aucun doute que c’est Islamabad qui a commandité l’attaque du 18 septembre contre l’armée indienne au Cachemire. “Le Pakistan encourage l’escalade terroriste pour pouvoir ensuite mener une opération militaire visant à annexer le Cachemire”, assure-t-il. Dans ces conditions, “aucun compromis” n’es t envisageable, selon lui. Le gouvernement indien devrait non seulement “rompre les liens économiques” avec le Pakistan, mais également “doubler le budget annuel de la défense” et s’assurer que les militaires “dépensent bien la totalité” des crédits qui leur sont alloué